« Quand les paysans participent aux solutions, c’est beaucoup plus efficace »
Philippe Ducroquet, économiste et ingénieur en agriculture, a publié avec le géographe Jean-Paul Charvet, l’Atlas des politiques agricoles et alimentaires aux éditions du Rocher. Une revue riche et très visuelle des principaux enjeux du monde sur la question.
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Le sujet de la souveraineté alimentaire revient en force dans les débats français et européens. Comment cette problématique se traduit-elle dans les autres régions du monde ?
La souveraineté alimentaire finalement, ce n’est pas ce qui est important. Ce qui compte, c’est la sécurité alimentaire. Pour le responsable d’un pays, c’est ça l’exigence absolue, il doit être capable de nourrir sa population par de la production intérieure ou non.
Chacun doit faire avec ses atouts. Deux exemples extrêmes. Au Botswana qui est un pays désertique, ça coûterait extrêmement cher de produire des céréales. Mais comme il est truffé de mines de diamant qui génèrent des revenus importants, je comprends très bien qu’ils soient libéraux et préfèrent s’approvisionner ailleurs à des prix moins élevés.
Au Brésil en revanche, la sécurité alimentaire dépend beaucoup plus de la production intérieure parce qu’ils ont tout ce qu’il faut pour être quasi autosuffisants. Ce que je veux dire, c’est que la souveraineté alimentaire peut être un but à viser partiellement, mais il ne faut surtout pas l’atteindre car ça tend vers l’autarcie.
Beaucoup de responsables politiques parlent de souveraineté alimentaire mais en réalité, c’est tout à fait l’inverse qui se produit en ce moment. Les flux se sont déplacés, mais les échanges augmentent. C’est moins l’Europe et les États-Unis pour la production et plus des pays où les coûts de revient sont moins élevés comme la Russie, le Brésil ou l’Argentine. La consommation, elle, est désormais davantage en Asie.
Aujourd’hui en Europe ou aux États-Unis justement, on entend cette tentation du protectionnisme. N’est-ce pas un danger pour l’approvisionnement alimentaire du monde ?
Tout d’abord, il faut se souvenir que l’agriculture dans l’Union européenne et aux États-Unis a d’abord réussi grâce au protectionnisme. C’est quand nous avons eu les atouts pour transformer notre agriculture et devenir compétitifs que nous sommes devenus libéraux. Depuis, les subventions ont diminué plus que de moitié.
Je dirais donc que le protectionnisme n’est pas souhaitable dans les pays qui ont des atouts mais en Afrique par exemple, c’est indispensable compte tenu de la faiblesse de la productivité. Les rendements en Afrique subsaharienne sont de 7 q/ha en moyenne quand ils sont à 70 aux États-Unis ou en Europe. Et les paysans africains travaillent sur 1 hectare quand nous sommes sur 100 hectares en moyenne. Comment voulez-vous être compétitif avec un tel écart de productivité ? Donc, il faut du protectionnisme.
Mais s’il y a des excès dans le protectionnisme, il en existe dans le libéralisme. Les exploitations de plus de 5 000 hectares représentent 20 % des surfaces dans le monde. En Russie, en Ukraine, en Argentine ou au Brésil, c’est 50 % des terres qui sont détenues par des holdings et cette tendance est en augmentation. Le libéralisme débridé, ça conduit à une agriculture sans paysans.
Les besoins alimentaires mondiaux sont étroitement liés à la quantité de terres arables disponibles. Quelle analyse faites-vous de cet enjeu dans votre livre ?
La grande tendance, c’est qu’il n’y a quasiment plus de terres agricoles disponibles en Asie. En Chine, en Inde, au Vietnam… C’est fini. Là où il y a encore des surfaces disponibles, c’est en Afrique subsaharienne ou en Amérique du Sud. Mais c’est dix fois moins que ce que prétend la FAO qui évoque notamment la transformation de pâtures en culture. Or on ne peut pas utiliser toutes ces surfaces, c’est impossible.
À l’avenir comme dans le passé, 90 % de la production agricole dont nous avons besoin d’ici à 2050 viendra de la productivité, mais pas des surfaces. La productivité est un gros mot en Europe parce que nous sommes des enfants gâtés, mais c’est essentiel dans les pays pauvres.
Justement, la productivité pourrait se heurter à la réalité climatique, de plus en plus hostile. Comment les pays s’adaptent à cet état de fait ?
En Europe, je dirais que les pays scandinaves se débrouillent bien pour concilier productivité, environnement et attentes sociétales. En Israël, les technologies utilisées pour économiser l’eau sont assez exceptionnelles. Ils ne produisent pas en fonction des surfaces, mais en fonction de l’économie d’eau et de la valeur ajoutée.
Sur ce point, l’Espagne n’est pas mauvaise non plus. Compte tenu de leurs difficultés sur la gestion de l’eau, ils ont des technologies de réduction de la consommation aujourd’hui supérieures à celles de la France.
Reste que la pression de la société est forte en Europe pour changer les pratiques agricoles et le pacte vert en est une conséquence. Quelle est votre analyse de cette politique ?
Sur le fond, les écologistes ont raison de dire que les surfaces ou la ressource en eau sont limitées. Il y a des contraintes et il faut en tenir compte. Mais l’Union européenne est devenue dépendante sur le plan agroalimentaire et on dit qu’il faut moins d’engrais, moins de surfaces, moins de phytos… C’est un peu contradictoire.
Nous sommes devenus déficitaires et en appliquant le pacte vert, on le serait encore plus. La clé pour moi est une politique volontaire dans la durée et associée au monde paysan. Quand c’est voulu par les paysans et qu’ils participent aux solutions, c’est beaucoup plus efficace.
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